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La Main qui chante
2 octobre 2014

Le conservatoire

Quel étrange monde !

D’abord, il faut s’y rendre. On arpente les rues grises, les voitures passent. Des gens marchent, comme nous. On se sent étrangement familier de ces personnes qui, eux aussi, vont quelque part.

Mais où ? Aucune idée. On suppose que la femme en tailleur élégant, largement trop maquillée –maquillage qui se veut discret évidemment-, chaussée de ses souliers à talons vernis, se rend à une réunion, ou un colloque peut-être. Mais pas à un entretien d’embauche. On ne l’espère pas. Trop de fierté dans sa démarche.

Il y a ce jeune homme… [Jeune ? mon âge, probablement, suis-je jeune ?] Bref, cet homme bien vêtu mais pas trop classe. Un classique élégant, lui aussi. Rasé soigneusement. Son manteau est propre, aucun pli involontaire. Le genre à prendre le bus, à venir à pied ou enlever le manteau dans la voiture. Destination : inconnue.

Il y a ces jeunes filles (jeunes, là, oui ! Des adolescentes) qui rient et gloussent faussement naturellement, vérifiant bien d’accrocher « par hasard » le regard d’un prince charmant et qui, pour ce faire, vérifient, corrigent et copient sur d’autres leur attitude féminine. Du copier-coller. L’apprentissage de la vie, m’a-t-on dit.

N’oublions pas le couple tout droit sorti des années 70, fleur dans les cheveux, jupe longue pour la femme, vêtements en coton (bio !) pour les deux ; Les aïeux vaillants et moins vaillants, deux ou trois pères et mères pressés, embarquant leur enfants dans une formule un en guise de poussette…

Tant de différences. De destinations variées. Tous anonymes. Et puis, au détour d’une rue, parfois caché derrière un autocar à deux étages, le conservatoire. Fini le goudron, ici, le bois est maître ! Il y a bien ces poutres métalliques, ces colonnes de béton, mais ils disparaissent, ils fondent et s’évanouissent sous la chaleur sylvestre.

Les visages fermés de la rue sont oubliés. Il suffit d’un regard perdu (« où dois-je aller ? ») et l’on vient vous voir. Vous apprenez après quelques mots que votre interlocuteur n’est pas employé, mais un parent qui connaît un peu l’endroit. Mieux que vous, ce n’est pas difficile.

Ici, les gens entrent et sortent comme dans un moulin. Comme dans un magasin. Sauf qu’ici on a le droit de s’assoir, de se poser. Car une fois que vous connaissez quelques pièces et certains couloirs (ou au moins les toilettes), vous êtes tranquilles.

Les gens circulent tout autour de vous, qui êtes sagement installé au milieu de la pièce.

Vous devenez en quelques instants le point fixe de ce fleuve. Le rocher qui émerge.

Et personne ne vous dira rien. Restez assis dans un centre commercial. Personne ne s’en offusquera. Allez-y ! Allez, et affrontez les gens. Posez-vous de façon naturelle sur un siège, un fauteuil, un quelconque endroit prévu au repos, dans un magasin ou une galerie commerciale, en centre du hall d’entrée. N’emmenez rien avec vous –sinon ce ne serait pas drôle-, sans sac, juste vous. Et voyez.

Je disais donc que personne ne s’offusquera de votre présence. Mais ces regards rivés sur vous, ou au contraire la hautaine distance qu’ils mettent entre vous, vous voilà à l’écart. Peut-être pensent-ils que vous allez leur demander une piécette (pour le caddie). Après tout, non, vous n’avez rien à voir avec eux, alors, fuyons cette personne si bizarre qui reste assise sans rien à faire, ni but ni ambition.

Avec de la chance, un secouriste ou un vigile viendra vous proposer son aide. Ce sera tout.

Faîtes de même dans un conservatoire.

Restez assis et ne faîtes rien, au milieu du hall d’entrée. Serez-vous rejeté, exclu, considéré pour être mieux ignoré ? Suspens.

 

Les minutes passent. Les courants humains continuent, vous restez le point stable. Vous regardez, on vous regarde.

Personne ne viendra à vous. Et personne ne vous exclura. C’est là toute la différence : dès que vous entrez dans le conservatoire, vous en faîtes partie. Vous êtes intégrés au moment même où le détecteur de la porte coulissante vous a reconnu, offert l’asile face à la solitude de la rue.

Il vaut parfois mieux être inexistant et tranquille, que constamment jugé.

Dernier conseil: profitez des sons mélodieux (et moins mélodieux) qui s'échappent parfois des portes mal fermées...

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La Main qui chante
  • La main saisit, caresse, distingue, embellit, comprend, frémit, pleure, trésaille, rit, chante... Ce sont ici des réflexions plus ou moins idiotes d'une humaine curieuse de l'univers. Libre de toute contrainte, voici le chant d'un être de passage...
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