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La Main qui chante
2 octobre 2014

De l'incroyable deuil linguistique en deuil... ou pas.

Je me souviens de la fin de sixième. Mes parents sont présents, bien sûr, ainsi que la prof principale. Alors que mon rêve secret était d’être Indiana Jones, parcourant le monde, traduisant les langues à volonté, sans l’ombre d’un doute ou d’un dictionnaire, arrive la question tant attendue : aurai-je droit, moi aussi, à l’enseignement du latin ?

Un regard convenu entre les adultes, quelques mots, et d’emblée le verdict tombe : NON.

Stupéfaction. Je ne suis pas assez intelligente pour apprendre le latin. Non pas que je sois stupide, mais je rame déjà sans… Il faut privilégier les langues vivantes.

Les langues vivantes ?

Mon esprit farfelu imagine l’organe vivant seul, à la limite de la capacité de vision, d’ouïe et de marche. Qu’est-ce qu’une langue vivante ? Bien sûr, je sais ce que c’est. C’est un langage utilisé dans la vie de tous les jours, permettant la communication entre plusieurs personnes partageant cette même connaissance.

D’accord.

A l’inverse (et juste parce que j’adore les opposés), qu’est-ce qu’une langue morte ?

C’est –a priori- un langage inutilisé, déchu de ses droits de diction dès que les personnes instruites sortent des salles de cours. Ou presque. (J’omets en toute conscience les conférences et expositions où le latin s’avère nécessaire à la compréhension de l’évènement).

[Tous ceux qui imaginaient une langue effectivement morte, autopsiée dans une morgue avec l’enquêteur à côté tentant de comprendre la cause du décès… sortez de la pièce…]

J’ai donc 11 ans. La logique implacable fait son chemin et mes oreilles d’enfant commencent à fumer.

Si le latin est une langue « morte », POURQUOI est-il enseigné à des gens intelligents ?

Ne soyons pas mesquins, il faut un certain stade de capacité intellectuelle pour appréhender la langue de Ciceron. Et voilà que cette langue « morte », donc inutile, gâche de l’intellect qui pourrait AU CONTRAIRE servir à échanger dans des apprentissages bien plus utiles au monde actuel. Non ?

Les ingénieurs ont-ils réellement besoin de connaître le latin pour construire des machines ? Les imaginez-vous expliquer en réunion le principe des machines révolutionnaires … en latin ?

Alors que moi, qui suis passionnée par la langue française depuis la plus tendre enfance, avais besoin de comprendre une des bases linguistiques de la langue de Molière ! Comme un enfant cherchant les origines de sa mère… Et voilà que non, au lieu d’apprendre le latin, on me confie la rude tâche de l’apprentissage de la technologie et des mathématiques.

Et pourtant je suis curieuse. Je m’adapte. Sans doute aurais-je redoublé ma cinquième. Et alors ? Quel aurait été le problème ? J’aurais appris le latin.

Une langue morte. Une langue qu’on dit « morte ». N’y-a-t-il pas en Finlande une chaîne de radio en latin ? Cette langue n’est-elle pas une langue officielle de l’église catholique ? N’a-t-on pas ajouté des locutions tout à fait impossibles du temps de Julius Caesar ? Parler du nucléaire n’était sans doute pas fréquent dans leurs conversations…

Ne parle-t-on pas latin (si si, une ou deux fois dans l’année) dès lors que l’on ajoute quelques mots savants ? Je crois que l’on oublie rapidement la facilité que nous avons à introduire cette langue dans la notre.

Les personnels du domaine médical doivent être habitués à cela, naviguer entre le latin et le grec. Les maladies, les médicaments, ne sont-ils pas (très) fréquemment nommés à partir d’une langue morte ? De la peste au rhume ! Le simple de fait de dire « médicament » et voilà que je parle latin. Sans le savoir.

Donc me voilà, à 11 ans, condamnée à tenter de comprendre pourquoi le latin est une langue morte. A quelle date l’a-t-on achevée ? Comment ? Ceux qui parlent la langue sont-ils des fanatiques gothiques qui aimeraient voir leur idole revenir à la vie ? Ou simplement des amoureux d’une langue qui n’a peut-être pas tout à fait disparue…

J’ai un souvenir soudain : une bande dessinée lue, affalée sur le lit de mon frère. Cette scène, si courte, où les héros se retrouvent dans la demeure des dieux de leurs mondes. Alors qu’ils marchent au sein de l’immense palais, le héros aperçoit une jeune déesse mélancoliquement penchée sur une fontaine. Elle a l’air si triste que le héros se demande ce qu’il se passe. C’est alors qu’on lui explique que le dernier croyant en cette déesse est mourant, et donc qu’elle meurt aussi. Personne pour y croire. Personne pour s’en souvenir. Voilà, l’homme est mort, la déesse a disparu.

Qu’en est-il pour les langues ? Ne serait-ce pas la même chose ? Tant qu’il y a des gens pour la parler, c’est qu’elle n’est pas tout à fait morte. Non ? Ca y est, l’expression « langue morte » est réfutée, bannie de mon vocabulaire. En tout cas pour le latin.

Ne pourrait-on pas supposer que c’est seulement la locution française qui fait défaut ? Quelle image négative qu’un décès aussi barbare… passer de plusieurs millions de locuteurs à zéro en quelques années, c’est impensable, impossible…

Je m’y fais : le latin n’est pas mort, le français est à côté de la plaque.

Qu’en pensez-vous ?

Ouvrez vos oreilles, les amis. Voyez, entendez. Et n’oubliez pas :

Ab esse ad posse valet, a posse ad esse non valet consequentia

 

(De l'existence d'une chose on conclut à sa possibilité ; de la possibilité d'une chose, on ne peut conclure à son existence.)

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  • La main saisit, caresse, distingue, embellit, comprend, frémit, pleure, trésaille, rit, chante... Ce sont ici des réflexions plus ou moins idiotes d'une humaine curieuse de l'univers. Libre de toute contrainte, voici le chant d'un être de passage...
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